Ça fait quelques années que je suis active sur le Slack Duchess qui est ouvert à toutes et tous et ça discute pas mal sur les offres d’emploi. Je vois d’un côté les entreprises qui viennent toquer à la porte dans l’espoir de féminiser leurs équipes de développement et c’est très bien ! Et de l’autre je vois les discussions et les questions des femmes sur certaines annonces, les entretiens: ce qui est super aussi !

Après avoir participé à toutes ces discussions, je propose de faire une synthèse de ce que j’ai appris, lu et vu. L’objectif étant d’aider le monde des recruteurs à cheminer vers la diversité de genre et au-delà 🚀.

Les questions à se poser afin de maximiser les chances d’embaucher des codeuses

Vous êtes-vous informé.e.s sur les problèmes de société et les biais qui pénalisent les femmes aujourd’hui ?
Je suis désolée de vous l’apprendre, mais venir en disant juste “je veux recruter des femmes” n’est pas suffisant pour recruter des femmes. En fait c’est même très maladroit et peut être interprété comme “il me faut atteindre un objectif de mixité mais je ne sais pas vraiment ni pourquoi ni comment”. Les femmes n’ayant pas vraiment envie d’être juste un chiffre sur un tableur risquent de passer leur chemin. Si vous ne vous êtes pas renseignés un minimum vous allez faire face à des questions auxquelles vous n’avez pas pensé, et le manque de réponse ou la réponse partielle risque de terminer sur une absence de réponse à votre offre.

La bonne nouvelle c’est que vous êtes au bon endroit 💪 ! La suite de ce blog vous donnera des pistes pour réussir la féminisation de votre équipe de dev. L’étape suivante est aussi de vous former et de vous informer. Pour cela, vous trouverez quelques liens utiles à la fin de ce blog post.

Par contre, formez-vous par vous-même, ne demandez pas à vos développeuses d’être sociologues ou psychologues, d’autant plus en entretien d’embauche ! C’est franchement beaucoup d’énergie que d’expliquer tout ça encore et encore, de faire face régulièrement aux “bah s’il n’y a pas de femmes c’est qu’elles sont pas faites pour coder”, “mais pourquoi y a pas de femmes ?”, “ça fait quoi d’être en minorité ?” et en fait les développeuses, elles aimeraient mieux dépenser cette énergie … à coder. Beaucoup a été dit et écrit à ce sujet, les liens en bas de l’article peuvent aider mais globalement vous devriez pouvoir trouver assez facilement des ressources quelques que soit vos préférences de support d’apprentissage (livres, podcast, blogs, conférences, formations).

Les bases à rappeler: la vie privée est … privée 🔒

Ça ne devrait pas arriver mais malheureusement ça arrive encore trop souvent aujourd’hui en entretien. Il est illégal de demander à une femme si elle a des enfants, si elle souhaite avoir des enfants ou pas. Ça ne regarde qu’elle et elle seule peut l’aborder si elle le souhaite. Le statut marital non plus au passage, pas plus que la façon de s’habiller ou la couleur des cheveux. Faites un rappel systématiques à toutes les personnes faisant passer des entretiens, restez concentré.e.s sur le poste que vous proposez et votre entreprise et tout se passera bien.

Des conditions de travail très flexibles en horaire et en télétravail

Vouloir changer le monde c’est très noble mais ça prend du temps. La réalité aujourd’hui c’est que la majorité des parents solo sont des mamans, celles qui sont couple ont un compagnon ou une compagne qui travaille au moins autant en terme d’horaire et de déplacements, et la répartition de la charge mentale domestique n’est toujours pas équilibrée dans les couples. Vous avez de grande chance d’avoir des personnes avec une vie personnelle dense et la possibilité de s’organiser autant en horaires, qu’en présence bureau/télétravail est dans ce cas un prérequis extrêmement fort. Imposer des horaires stricts, ou du 100% présentiel, fait drastiquement baisser vos chances d’embaucher des femmes.

Une garantie de “safe place”

Certaines femmes ne rencontrent jamais de situation d’injustice et tant mieux mais c’est une minorité. La plupart d’entre nous ont rencontré des situations allant du malaise jusqu’à des situations totalement illégales (je vous laisse imaginer) que ce soit dans la vie professionnelle ou personnelle.
Tout ça pour dire que globalement les femmes ont conscience d’être potentiellement en danger, soit elles l’assument de façon combative, soit elles l’évitent mais ça traîne en tâche de fond plus ou moins consciente.

Les femmes vont donc probablement chercher une safe place, mais ne poseront pas de but en blanc la question parce que c’est une question de culture d’entreprise. Si l’entreprise est une safe place, c’est une discussion qui fera naturellement partie de l’entretien avec tous les candidats, y compris les hommes. Il est conseillé de préparer quelques réponses à des questions délicates. Quelles sont les procédures qui sont mises en place en cas de blague misogyne, homophobe, raciste ou validiste ? En cas de harcèlement quel qu’il soit ? Que se passe-t-il si une personne remonte un comportement déplacé d’un collègue à son encontre ou à l’encontre de quelqu’un d’autre ? Êtes vous prêt.e à vous débarrasser d’éléments hautement performants mais toxiques ? Le monde de l’informatique n’est pas si grand, et il y a de plus en plus de communautés de femmes et de sororités : les entreprises qui n’agissent pas sincèrement en faveur de la diversité sont connues, et évitées.

Une ouverture aux chemins de carrière alternatifs

Et oui les femmes sont déjà sous représentées dans le domaine dès le début des études supérieures ! Sur ce sujet aussi vous trouverez beaucoup de lectures et d’études assez facilement, notamment en quoi les femmes sont désavantagées à toutes les étapes du cursus scolaire, voire même depuis la maternelle. Je fais donc l’impasse sur la cause et passe directement à la conséquence: ça veut dire que pour une grande partie des femmes qui arrivent aujourd’hui dans le développement et l’informatique, c’est un second choix de carrière, une seconde vie professionnelle. Vous ne les trouverez que très peu dans les voies dites “royales” des écoles d’ingénieurs. Les profils que l’on voit passer sur le Slack Duchess passent par des formations type école 42, Ada tech school, Wild school et j’en oublie sûrement une bonne quantité. Les initiatives qui proposent une reconversion vers la programmation se multiplient ces derniers temps au vu des besoins actuels de l’industrie. A vous de saisir cette occasion en or de recruter des personnes avec des parcours et un regard différent, et de laisser tomber la barrière du Bac+N.

Les mots sont importants

Le genre n’est pas une compétence, c’est un état de fait. Alors autant il est raisonnable de chercher des développeurs Angularjs, Java ou Go, autant il est toujours assez déstabilisant de voir des entreprises chercher des développeurs femmes. Quand une femme reçoit un e-mail contenant “Je recherche un développeur Angularjs H/F et j’ai pensé à vous” ça peut passer au mieux pour de la flemme, au pire pour une entreprise qui, au fond, ne souhaite pas vraiment embaucher des femmes. Vous aurez tout à gagner à dire “Je recherche une développeuse Angularjs et j’ai pensé à vous”. D’autant plus si le genre souhaité est affiché avec un “She/Her”. C’est quelque chose qui se fait de plus en plus sur les profils des réseaux sociaux, je vous invite à y faire attention et à le respecter.

Attention voilà venir le sujet qui fait couler de l’encre : l’écriture inclusive ! Faut-il ou ne faut-il pas ? Ça n’engage vraiment que moi, mais je pense qu’il faut y aller. Ce que l’on ne réalise pas forcément au premier abord c’est que l’utilisation du point médian n’est pas obligatoire pour réaliser de l’écriture inclusive. La première étape c’est dupliquer les mots, ce n’est pas si long à lire et à écrire et ça montre une réelle volonté, par exemple : “Nous cherchons une administratrice ou administrateur réseau”.
Il y a aussi quelques astuces, comme l’utilisation du terme “personne” qui est un mot neutre en français et évite de dupliquer les mots. Par exemple : “une personne qui connaît les méthodologies agiles et scrum”. Sinon en dernière option, vous pouvez aussi rédiger les offres d’emploi en anglais , ce qui permet d’être beaucoup plus facilement neutre en genre :)

Pour ce qu’il s’agit de nommer les choses, les femmes ne sont pas une minorité, mais seulement sous représentées en informatique. La différence est énorme. Les femmes représentent à la louche 50% de l’humanité.

Évitez la liste des compétences à rallonge dans l’offre d’emploi

C’est quelque chose qui commence à être bien connu, globalement les hommes vont répondre à une annonce s’ils pensent satisfaire au moins 50% des critères, les femmes vont se lancer seulement si le poste correspond à 200%. C’est quelque chose sur laquelle les communautés de femmes peuvent aider : “Vas-y même si tu ne corresponds pas à tout, tente !” mais vous aurez quand même plus de réponses de femmes en étant raisonnable sur la description du poste. Concentrez-vous sur ce qui est absolument indispensable, et laissez les compétences bonus pour l’entretien en personne. Vous aurez aussi sûrement un peu plus de diversité, y compris dans les candidatures masculines, et ça ne peut que bénéficier à tout le monde.

Combien d’hommes incompétents pour combien de femmes incompétentes ?

Combien de fois j’ai entendu “oui… mais la dernière fois que j’ai embauché une femme ça s’est mal passé alors on est prudent.” Ah oui, et combien d’hommes incompétents avez-vous embauché ? Combien d’hommes compétents mais pour qui ça s’est mal passé quand même pour diverses raisons ? Est-ce que ça vous a empêché de recruter d’autres hommes ? Non. Il va falloir vous y faire, pour plus de diversité il va vous falloir embaucher des femmes compétentes et incompétentes, et pas sur-filtrer l’embauche.

D’autant plus que les femmes font face à plus de résistances que les hommes une fois en entreprise; c’est à dire que les personnes vont trouver que c’est moins bien fait, moins bien dit, pas une si bonne idée pour le même discours ou travail d’un homme. Êtes-vous sûr.es que la mauvaise expérience que vous avez vécue ce n’est pas plutôt parce que la seule et unique femme de l’équipe a été mal accueillie ? Qu’elle n’a pas été exclue intentionnellement ou non des pauses café où l’on parle que d’un sujet en boucle (variable, ça peut être le foot, les jeux vidéos ou les sports mécaniques, ça arrive que des personnes se regroupent dans une équipe inconsciemment par affinité de loisir) et où accessoirement les points de détails du projet ont été discutés ? Que les contributions (Pull Request) n’ont pas été largement plus discutées et pinaillées que celles des collègues masculins par biais inconscient ? Que le client ou le collègue d’une autre entité n’a pas été horrible avec elle tout en étant adorable avec son collègue masculin (combien de témoignages d’échanges accidentels d’e-mail qui entre un homme et une femme où l’homme a été surpris de la violence ou du dédain du client envers sa collègue !) ? Ne l’avez-vous pas poussée vers un domaine qui ne l’intéressait pas parce qu’elle parle bien ou présente bien alors qu’elle demandait encore et encore d’écrire du code ?

Il est de plus en plus démontré que si la ou le manager croit dans les compétences de la personne encadrée, alors les personnes progressent à toute vitesse et inversement. Qu’en est-il du niveau de formation de vos managers sur le concept biais inconscient ? Les biais de confirmations ? Les phénomènes de société ? Sur le fait qu’on va mieux “sentir” quelqu’un qui nous ressemble malgré nous ? Les femmes étant encore peu fréquentes, elles ressemblent rarement aux personnes qui les encadrent. Vos managers sont-ils bien informés que lorsqu’un homme et une femme s’expriment de la même manière et pour la même durée de parole, l’homme va être vu comme confiant, la femme comme agressive et très bavarde ? Que les femmes ont bien plus de chance de se faire couper la parole par les hommes et les femmes ?

Aborder la diversité dans son ensemble

J’ai beaucoup parlé des femmes/hommes mais c’est une petite partie de la diversité. Les femmes qui commencent à s’intéresser au sujet du genre, ont de grandes chances de s’intéresser aussi aux autres causes telles que le validisme, l’homophobie, la grossophobie, le racisme, l’âgisme…

Il se trouve qu’en France la seule diversité que l’on peut légalement quantifier à tout bout de champ c’est homme vs femmes. Dans d’autres pays ce n’est pas le cas, aux États Unis par exemple l’ethnicité, l’orientation sexuelle ou le handicap fait partie de ce qui est recensé et mesuré. Si on ajoute les obligations des entreprises sur les égalités femmes/hommes le sujet est ultra visible en France. Le résultat est qu’en tant que femme si l’entreprise ne s’intéresse qu’au genre, on a l’impression d’être juste là pour que l’entreprise ai un bon affichage. Alors que lorsque l’entreprise embrasse la diversité au sens large, les femmes peut être à la fois du côté des sur-représentés (par exemple blanches, valides, hétéro…) et du côté des sous représentés (bah femme). Intéressez-vous aux autres mouvements, comment avez-vous discuté du mouvement Black Lives Matter dans votre entreprise par exemple ? Avez-vous réagi publiquement sur les réseaux sociaux ou en interne ?

Ne vous découragez pas sur l’absence de réponse

Vous avez tout bien fait ce qui est au-dessus, mais vous n’arrivez toujours pas à recruter des femmes ? Et bien il faut continuer.

Il se trouve qu’en tant que sous-représentées dans l’informatique, les femmes sont aussi sur-sollicitées ! Il est donc très logique que vous ayez peu de réponses, mais ça ne veut pas dire qu’il faut arrêter ou que vous êtes dans la mauvaise direction : c’est juste que c’est difficile.
On ne va pas se mentir, ça n’est ni rapide, ni zéro budget. Ce n’est pas aux femmes de changer, c’est aux entreprises.
Il faut vraiment que les entreprises changent, et la volonté doit être présente à tous les étages. Une formation obligatoire de e-learning d’une heure par an n’est largement pas suffisante, il faut que le sujet de la diversité revienne sur la table, encore et encore et en grandes instances comme les réunions générales. C’est un effort continu de toutes et tous. Ça demande la mise en place d’un cadre pour être une safe place, de pouvoir signaler facilement et sereinement tous les cas “limites” et d’avoir un vrai suivi, de discuter des choses qui peuvent paraître ridicules à certaines personnes. Par exemple : “Comment se dire bonjour ? une bise, un câlin à l’américaine, un coucou de loin ?” Vous n’avez pas idée du nombre de femmes qui ont été soulagées d’arrêter la bise au travail grâce à la pandémie.

Avoir un espace de discussion réservé aux femmes est très efficace, et c’est valable pour tous les groupes sous représentés. Les #notAllMen diront que ce n’est pas juste mais la réalité c’est que les hommes sont en quelque sorte en permanence entre hommes, combien de réunions sans femmes ? Combien de pauses cafés, d’afterwork entre hommes ? Combien de fois où les femmes sont présentes mais n’ont pas la possibilité de s’exprimer vraiment ?
Avoir un espace réservé à un groupe de personnes sous-représentées permet de libérer la parole, de chercher et obtenir du soutien, du support, et de célébrer les petits succès personnels. Vous ne recruterez pas plus de femmes de cette façon, mais vous pourrez sûrement les garder plus longtemps 😉.

Enfin il faut booster le budget formation. Si vous recrutez des personnes en provenance de formations alternatives, peut-être vous faudra-t-il un peu plus de budget formation technique, de temps libéré pour l’auto-apprentissage.
Dans tous les cas, il y a un investissement à faire au niveau des encadrants sur les “soft skills”, que ce soit des managers ou des coachs. Investir sur les formations au management positif, sur les biais de genre et de société. Les formations dans lesquelles on apprend aux femmes à changer sont bien en place et insuffisantes, maintenant c’est aux surreprésentés de changer, d’être plus empathiques, plus mesurés, d’apprendre à laisser de la place en termes de temps de parole ou de représentation, et à être des alliés. Et l’avantage c’est que ça bénéficie au final à tout le monde, les personnes qui évoluent dans un cadre sécurisant et épanouissant sont bien plus performantes et impliquées.

Et surtout n’oubliez pas que le premier programmeur était une programmeuse ! Les femmes sont intéressées par l’informatique et sont compétentes : elles étaient le genre dominant l’informatique jusqu’aux années 80.

Des références pour s’auto-former et apprendre 📖

Bande dessinée : Charge mentale par Emma
Livre : Les oubliées du numérique par Isabelle Collet
Vidéo : Le guide vers la diversité par Audrey Neveu
Site : http://safeplacestowork.com/
Dictionnaire d’aide à l’écriture inclusive: https://eninclusif.fr/

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