Gaëlle Bourven est une femme de l’IT dont l’analyse et les mots sont très inspirants. Le 15 octobre 2015, j’ai eu la chance d’assister à sa présentation “Si les petites filles naissent dans les roses, l’IT est dans les choux” lors d’une journée en immersion chez Criteo (organisée avec Adaweek).  Ressortie de cette intervention avec de nombreuses clés, j’ai voulu aller à la rencontre de Gaëlle Bourven et partager ainsi avec vous…

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Néno : En quelques mots, qui êtes-vous ?

Gaëlle : J’ai toujours été passionnée de programmation. J’ai écrit mes premiers programmes à 10 ans, sur un MO5 (Thomson), qui n’avait pas de mémoire interne et où les sauvegardes de données et de programmes se faisaient sur des cassettes.

Alors quand je suis sortie de Centrale Lyon et n’ai pas trouvé de travail dans la spécialisation de mon DEA (Génie des matériaux), c’est un peu par hasard, mais sans aucune résistance que je me suis tournée vers les métiers de l’informatique.

J’ai aujourd’hui 42 ans et ça fait bien longtemps que je n’ai pas écrit une ligne de code. Très jeune dans ma carrière, j’ai eu l’opportunité de prendre la responsabilité d’une équipe de développement et j’ai vite constaté que les meilleurs talents ne pouvaient s’épanouir que dans un environnement « favorable » et parce que la psychologie humaine m’a toujours intéressée, j’ai essayé de comprendre ce que « favorable »  veut dire.

et parce que la psychologie humaine m’a toujours intéressée, j’ai essayé de comprendre ce que « favorable »  veut dire.

Néno : Vous occupez actuellement le poste de Product Director chez Ullink. En quoi consiste ce rôle et comment y êtes-vous parvenue ?

Gaëlle : Je suis arrivée chez Ullink en Juin 2013. Il s’agit d’un poste en pure organisation et management d’une équipe de développement de 170 personnes répartie sur 4 localisations : Paris, Cluj, Hong-Kong et Manille. L’équipe est en SCRUM (23 équipes) et mon rôle consiste à rendre le cycle de développement le plus efficace possible. Comme je suis profondément convaincue par les principes Agile, je cherche à donner le plus d’autonomie possible aux équipes en accord avec leur maturité. Je suis très accessible pour tous les membres de l’équipe et je prends toujours le temps de réfléchir aux idées et suggestions qu’ils me soumettent. C’est le sens que j’ai trouvé au mot « favorable »  : ce qui convient le mieux aux équipes et aux individus. Je m’appuie beaucoup sur les propositions des membres de  l’équipe et exploite sans cesse les ressorts de l’intelligence collective.

C’est le sens que j’ai trouvé au mot « favorable »  : ce qui convient le mieux aux équipes et aux individus.

Néno : Vous avez été speaker lors d’une journée en immersion chez Criteo dans le cadre de l’Adaweek au mois d’octobre dernier. Vous avez ainsi contribué à la valorisation des femmes dans les métiers scientifiques et techniques. Quel(s) message(s) souhaitiez-vous essentiellement faire passer ?

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Les femmes doivent (re)prendre confiance en leur potentiel : c’est le premier message que je souhaitais faire passer.

Gaëlle : Sur 170 personnes, mon équipe ne comporte que 18 femmes dont seulement 10 femmes développeuses. Lorsque j’étais étudiante, j’entendais déjà : « il faut plus de femmes dans les écoles d’ingénieur ». 20 ans après, je vois que le ratio n’a presque pas changé. Les discussions sur le sujet se répandent souvent en clichés sexistes : les hommes sont ci, les femmes sont ça… Sauf quand vous discutez avec des professionnels du cerveau qui vous disent que l’imagerie médicale d’un cerveau d’homme et d’un cerveau de femme est similaire, qu’ils seraient incapable de les distinguer par aucun procédé d’analyse.

Je pense aujourd’hui que le “naturel” n’a qu’une part très petite dans les différences hommes / femmes et que la plupart de nos représentations ne sont que pures constructions.

Il n’y a aucune raison de penser que l’informatique n’est pas un métier de femme, que les femmes sont moins faites pour les maths ou l’ingénierie, mais pour que cela change les premières à convaincre sont les femmes elles-mêmes.

Les femmes doivent (re)prendre confiance en leur potentiel : c’est le premier message que je souhaitais faire passer.

Mon deuxième message est à l’adresse des éducateurs que nous sommes. Si nous différencions nos petits garçons et nos petites filles dès le plus jeune âge alors nous créons ce qui deviendra un gouffre à l’âge adulte. La lutte la plus efficace contre le sexisme se passe à la crèche, à la maternelle et à la maison. Si les femmes ont perdu confiance en elles et en leur facultés c’est qu’on leur a dit ou fait comprendre depuis toute jeune qu’elles valaient moins, qu’elles étaient capables de moins, qu’elles devaient être sages et ne pas réclamer… Comment voulez vous qu’elles demandent en toute sérénité une augmentation de salaire, quand on leur a dit depuis toute petite qu’elles ne devaient pas réclamer et ce, encore plus que les petits garçons dont on attend qu’il soient plus agités, et par là même qu’on autorise à ne pas respecter nos injonctions … ?

Néno : Avez-vous quelques conseils à livrer à une femme qui souhaite débuter une carrière dans le numérique ? Gaëlle :

  • Ayez le courage de votre ambition, si vous êtes une bonne professionnelle, faites le savoir et positionnez-vous clairement auprès des décideurs.
  • Mettez vous dans la peau de votre chef : quelle facilité pour lui de savoir où vous voulez aller ! N’ayez pas peur de lui dire que vous voulez sa place (ou une similaire), il a sûrement en tête de prendre celle de son propre chef !
  • Cette déclaration a aussi d’autres vertus : elle montre que vous admirez son poste, et que vous le pensez capable de mieux …

Néno : Quels sont les pièges à éviter selon vous ? Gaëlle :

  • Refusez d’écrire les minutes des réunions, c’est un travail long et transparent qui ne contribue en rien à votre carrière.
  • Refusez toute forme de sexisme et la galanterie en est une : lorsqu’on vous laisse passer devant pour sortir d’une salle, on vous coupe du groupe, on vous isole.
  • Prenez conscience de tous ces détails qui montrent au quotidien que vous êtes différente des hommes avec qui vous collaborer et travaillez à les gommer : vous avez tout à y gagner.
  • Evitez les trop longues journées de travail, votre mission doit tenir en 8h/jour, sinon c’est qu’il y a un défaut dans la définition du poste. Respecter cette cadence, c’est se préserver sur le long terme.

Néno : A travers quelles activités vous épanouissez-vous en dehors du travail ? Gaëlle : J’ai deux petites filles de 4 et 6 ans qui m’occupent le plus clair de mon temps libre. J’aime particulièrement les emmener à la patinoire ou à la piscine, parfois au musée.

Néno : Y-a-t-il une chose que vous souhaiteriez ajouter ? Gaëlle : Il y a une citation de Françoise Héritier que j’affectionne particulièrement : « Il n’ y a aucun lien entre le fait de porter des enfants et celui de faire la cuisine tous les jours » . Je pense que nous avons encore beaucoup à faire pour inventer un monde moderne où chacun sera pleinement valorisé. Nous avons tous à y gagner.

« Il n’ y a aucun lien entre le fait de porter des enfants et celui de faire la cuisine tous les jours »

 

Merci à Gaëlle pour cette interview !