Voici un profil un peu atypique : Virginie n’est pas une codeuse à proprement parler, mais possède un profil très technique. En effet, elle participe à l’élaboration des nouveaux standards de sécurité du Web au W3C - l’organisme international de normalisation du web. La classe non ?

 

Virginie, qui es-tu, que fais-tu ?

Je suis Virginie Galindo, je travaille chez Gemalto, une entreprise internationale qui produit des solutions de sécurisation, à base de logiciel ou de matériel. Je fais partie d’une équipe rattachée à la recherche et l’innovation. Plus précisément, avec une quinzaine de collègues, nous sommes en charge de promouvoir les savoir faire de mon entreprise dans les organismes de normalisation. Nous couvrons des aspects très divers, puisque mon employeur intervient dans des marché aussi variés que le monde des télécommunications, la banque, l’identité en entreprise ou au niveau des pays. Le travail de normalisation consiste à définir avec ses pairs (concurrents, partenaires, ou clients) des solutions innovantes pour des services ou des objets. Ce travail s’effectue au cours de réunions physiques ou virtuelles, avec les acteurs impliqués dans la chaine de fabrication de l’objet ou du service. Les questions qui me préoccupent en ce moment sont, par exemple, l’architecture sécurisée des smartphones, que je discute avec les fabriquant de composant ou de téléphone, ou encore le déploiement du paiement dans un navigateur, qui se discute avec les fournisseurs de solution de paiement et les fabriquant de navigateurs.

Décris-nous une de tes journées type ?

Je suis une maman de deux enfants, donc ma journée commence en général sur les chapeaux de roue. Après avoir déposé mes enfants à l’école - à peu près à l’heure - je rejoins le site de mon entreprise à La Ciotat, une petite ville au bord de la mer. Je ne reste pas souvent assise à mon bureau, sauf lorsque je parcours la presse pour faire de la veille technologique, ou lorsque j’essaie de comprendre des spécifications techniques.  Je suis la plupart du temps en réunion, ou dans les couloirs, à échanger avec les personnes qui réfléchissent aux technologies nécessaires dans les deux ou trois ans à venir. Je trouve des interlocuteurs dans de nombreux services, le marketing, la recherche et développement,  les personnels au contact avec nos clients, la cellule d’innovation … C’est donc en général l’échange qui prédomine lorsque je travaille au bureau. Il arrive aussi souvent que je me réveille à l’autre bout du monde, en moyenne une semaine par mois, pour assister à une réunion de normalisation.  Récemment, j’ai eu la chance d’enchaîner une semaine en Californie, à Napa Valley, puis, une semaine à Tokyo. Au cours de ces réunions, je rencontre beaucoup de personnes de grande valeur, et c’est toujours extrêmement enrichissant.

Quelles études as-tu suivies ?

Je suis un pur produit universitaire. Avec un parcours centré sur la physique. J’ai un doctorat en physique des matériaux, avec un côté très expérimental. J’ai également travaillé une année au CEA à Cadarache sur un projet de bobine magnétique géante, dans le cadre de réacteur de fusion. Au cours de mes études, j’ai aussi beaucoup enseigné à l’université, ou dans des écoles. C’est là que j’ai découvert le plaisir d’échanger, de partager, sur des sujets techniques.

Tu interviens au prestigieux comité W3C, peux-tu expliquer ce que c’est en quelques mots ?

Le W3C est l’organisme de normalisation du web. C’est ici que sont définis les normes HTML et CSS qui permettent aux internautes de surfer sur des sites web beaux et performants. C’est un organisme qui réunit tous les acteurs de la technologie, les fabricants de pc, tablette, smartphone, les opérateurs téléphoniques, les fournisseurs de navigateur (qui y font en général la pluie et le beau temps), et les fournisseurs de service web. On y trouve beaucoup d’académique également. C’est un organisme au fonctionnement très ouvert. Tout ou presque a lieu en public.

 World Wide Web Consortium

Comment y es-tu entrée ?

Le W3C est un organisme clé pour toutes les entreprises technologiques, puisque les usagers se reposent de plus sur le mobile et le web. Je représente mon entreprise au W3C depuis 2011, avec l’optique de renforcer la sécurité du web. Nous avions en tête de populariser l’usage de la sécurité dans les applications web, en mettant à disposition des développeurs d’application une librairie permettant de faire des opérations de cryptographie. Pour créer une clé, l’utiliser pour chiffrer des données, signer … Cet organisme est très ouvert et accueille à bras ouverts les bonnes idées et les bonnes volontés.  C’est ainsi que je me suis retrouvée à être chairwoman d’un groupe de travail. Avec Google, Netflix, Microsoft, Mozilla, nous avons travaillé pendant 2 années pour définir cette librairie, qui est maintenant embarquée dans la plupart des navigateurs. La communauté du W3C, ses contributeurs et son staff, est très enrichissante. Je me suis donc beaucoup investie dans le fonctionnement et la gouvernance du W3C. C’est ainsi que j’ai été élue au board consultatif du W3C pour deux années. Contribuer au W3C est assez simple, il suffit de rejoindre un groupe de travail et partager ses idées. On peut le faire à titre individuel ou au nom de son entreprise.

Interviens-tu dans des conférences techniques ? Prends-tu la parole de manière publique au W3C ?

J’ai toujours participé à des conférences. Cela fait partie de la culture universitaire et de la recherche. C’est une formidable occasion d’échanger, d’apprendre, de comprendre les tendances, de formuler ses propres hypothèses (et donc de détecter ses incohérences). Je participe à des conférences techniques assez variées (Paris Web, les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, ou encore des meet-up organisés par le W3C). J’interviens souvent pour faire un état des travaux sur les sujets qui me préoccupent. Je prends la parole également au W3C, pour gérer le petit groupe de travail, mais aussi pour rapporter mes activités au titre de chair ou de membre du board aux membres du W3C. Ce sont des assemblées variant de 20 personnes à 150 personnes.

Comment t’y prépares-tu ?

Je suis assez studieuse et travailleuse. Bien que j’aie fait pendant longtemps du théâtre, et de la formation, je ne suis pas une fan de l’improvisation. Je prépare donc soigneusement mes interventions, sur la base d’éléments factuels et je définis clairement les messages clé pour le public, selon l’objectif de mon intervention. Depuis peu, à force de fréquenter de très bons orateurs des grandes compagnies américaines j’ai introduit la notion de narration ou de fil rouge. Je raconte une jolie histoire pour que le message soit un peu plus agréable à écouter. Mais le contenu reste calibré et pesé.

 

Tu tiens aussi un blog ?

J’écris aussi pour poulpita.com. C’est un blog qui me permet de m’exprimer sur quelques-uns de mes centres d’intérêts, personnel ou professionnel. Il rassemble quelques textes littéraires (j’écris depuis toujours), mes sentiments sur des expos d’art, mais aussi il me permet d’informer sur les sujets liés au W3C, je m’en suis servie pour faire campagne afin d’être élue au board du W3C. Bref, c’est une tribune dont j’use avec parcimonie, mais avec régularité. C’est drôle de voir que mes deux billets les plus lus sur un état des lieux de l’API de cryptographie dans les navigateurs et l’expo de Niki de Saint Phalle au Grand Palais.

Des conseils pour nos lectrices ?

Je ne sais pas si je suis expérimentée au point de donner un conseil universel, je peux juste partager mon état d’esprit pendant les 20 dernières années. Je me suis souvent arrangée pour être dans des environnements de travail positifs, qui respectaient mon caractère, ma sensibilité et répondaient à ma curiosité. Je pense qu’il est important de tracer un chemin professionnel qui ne demande pas (trop) de sacrifices, et qui permette de s’épanouir. Nous avons une longue vie de travailleuse devant nous, prenons donc le temps de tracer un chemin le plus agréable et enrichissant possible.