J’ai rencontré Charlotte Duruisseau dans les couloirs de l’Ecole d’ingénieurs dont elle allait bientôt partir puisqu’elle terminait ses études, notamment en Data Science. Nous nous sommes revues récemment et j’avais très envie de l’interviewer, elle a tout à fait sa place au sein de nos “rôles modèles” et inspirants de femmes techniques passionnées.

[caption id=”” align=”alignleft” width=”170”]Charlotte Duruisseau .[/caption]

Quand elle était encore élève, on sentait chez Charlotte la soif d’apprendre et de découvrir plein de choses nouvelles.  A 23 ans, elle avait déjà pas mal bougé et pour des expériences bien différentes et intéressantes : une année d’étude à Palo Alto avant la prépa, un semestre à Hong Kong pour une spécialisation “Data Mining, Computer Networks - an Internet perspective, Cryptography & Signal Processing”, elle y a suivi également une session de Executive Master sur la gouvernance innovative des grandes villes. S’en suivra pour Charlotte un stage au Mexique où elle a contribué à la création d’une base de données GTFS (General Transit Feed Specification) pour le transport majeur de Mexico City (qui est toujours assez informel) en traitant des données récemment récoltées avec des téléphones mobiles et en concevant à la fois une nouvelle méthode de collecte incluant la contribution de la population ainsi qu’une appli mobile. Elle a d’autre part, lors de ce stage, contribué à un papier sur le ride-sharing en Amérique Latine, définissant un cadre, dressant un bilan et formulant des recommandations au gouvernement pour sa régulation. Et quand je l’ai rencontré elle repartait pour la Californie pour un autre stage dans une équipe de dev sur les transports intelligents, chez Transdev. Check!

 

Agnès : Peux-tu te présenter ? Ton parcours ? Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui depuis que tu n’es plus à l’école ?

Charlotte : Je suis une ingénieur mue par le désir d’améliorer la qualité de vie des citoyens tout en préservant la richesse de l’écosystème. Cela passe par la création de systèmes intelligents, processus circulaire où chaque étape mérite attention. Un de mes récents collègue me présente comme “a customer-centric data scientist”.

Pour ce qui est de mon parcours: Après le lycée, j’ai choisi d’intégrer les classes préparatoires aux grandes écoles, attirée par l’acquisition de solides bases scientifiques ainsi que la rigueur et les capacités de raisonnement. Avant de me lancer dans des choix de spécialisation en école d’ingénieur, j’ai choisi de sortir le nez du guidon en partant un an dans la Silicon Valley en Californie. J’ai découvert l’informatique, l’entrepreneuriat, un nouveau contexte socio-culturel, le libéralisme américain, et tant d’autres choses !

Je suis revenue en France pour intégrer l’Ecole des Mines de Saint-Étienne, à partir desquelles j’ai notamment fait un échange universitaire un semestre à Hong Kong, un stage de 3 mois au Mexique et un stage de 6 mois en Californie. Mes expériences m’ont amené à me spécialiser en Sciences des Données / Recherche Opérationnelle et Transport et Mobilité Intelligents. L’école nous a notamment appris à mener des projets en groupe, nous a fait ressentir notre indépendance et notre responsabilité. Après avoir été diplômée, j’ai commencé à travailler à l’IFSTTAR, laboratoire dans lequel je fais de la recherche sur la gestion du trafic urbain.

“Outre la finalité, le code permet beaucoup de créativité…”

Agnès : Qu’est-ce que t’apporte le fait de savoir coder aujourd’hui ? C’est un truc qui t’éclate ? Quels sont tes langages fétiches ?

Charlotte : Savoir coder me donne de l’indépendance. Outre me permettre de manipuler des informations à grande échelle et automatiser des tâches, le code permet de comprendre. Le traitement de données permet d’identifier et de caractériser des relations entre des grandeurs, nous permettant ainsi de comprendre des phénomènes. Il nous permet aussi de quantifier des contributions, ce qui permet d’identifier des priorités. Les sciences de données nous donnent des clés pour résoudre les problèmes plus efficacement.

Outre la finalité, le code permet beaucoup de créativité et de personnalisation. On choisit la nature et la représentation des choses et invente leur manipulation. Coder demande beaucoup de rigueur, sans quoi on peut vite se faire berner par ce que l’on crée. Je pense que je n’ai pas assez d’expérience en programmation pour avoir des langages fétiches, hahaha.

“Savoir coder me donne de l’indépendance”

 

Agnès : Tu as fait un projet récemment chez Transdev en Californie, peux-tu nous en dire un peu plus ?

Charlotte : J’ai effectivement fait mon stage de fin d’études pendant 6 mois chez Transdev en Californie. J’ai intégré une équipe de développeurs pour travailler sur un nouveau projet visant à automatiser l’opération d’un système existant de transport collectif à la demande. Assez rapidement, je me suis rendue compte du gap entre l’objectif “automatiser” des business managers et la réalité des décisions à prendre par les programmeurs. “Automatiser” un processus de décision humain, c’est à dire ? Que se passe t-il dans le cerveau (conscient/inconscient) de l’humain lors du processus ? Quelles sont les tolérances ? Y a t’il un passif ? Quel est le poids de chacun des éléments dans la décision finale ? Peut-on remettre en cause la décision quelques minutes plus tard ? Finalement le programmeur est la personne qui décide et sait le mieux comment exactement l’output, réponse à la question, est construite.

J’ai donc trouvé ma place: j’ai aidé à prendre les décisions globales et locales dans le code en jonglant entre l’orientation stratégique de l’entreprise et la réalité du terrain. Il s’est agit de définir le type de problème à résoudre, nécessaire pour une bonne structure du programme et une robustesse du code à s’adapter aux changements (d’échelle par exemple), recenser et hiérarchiser les contraintes du problème en croisant des études de données avec des interview terrain, proposer des stratégies pour contourner les inconnues (proposer des optimums de Pareto lorsque l’on ne connait pas encore la fonction des paramètres à optimiser par exemple). Je pense qu’ici mon profil d’ingénieur généraliste a aidé à être un pivot entre ces différents acteurs.

 

Agnès : Quelles sont aujourd’hui tes ambitions et envies pro ?

Charlotte : Je crois énormément en le pouvoir de chacun d’entre nous sur la direction dans laquelle se dirige notre société. C’est pourquoi je m’attache à mettre mon temps et mon énergie sur des projets auxquels je crois et trouve du sens. Je souhaite contribuer à améliorer l’efficacité de la consommation des ressources et rendre les systèmes à échelle plus humaine (car je pense que ça donnerait plus de sens aux décisions et améliorerait la qualité de vie). En ce qui concerne ma valeur ajoutée dans ces projets, je voudrais pouvoir aider la décision en définissant et modélisant les problèmes. Il s’agit de concevoir et mettre en place une méthode pour arriver à formaliser le problème, le rendant accessible aux objectifs multidisciplinaires et aux résolutions techniques / théoriques. Cela peut être un processus itératif (suivant l’avancement dans la clarification du problème) et inclut l’analyse d’informations de natures différentes et des multiples acteurs du projet (Data Science sur des bases de données, interprétation de documents internes et éléments de terrain), la validation des hypothèses et des simplifications, la priorisation des objectifs et des contraintes, le choix/la création d’indicateurs. Agnès : Il y a un truc qui te passionne c’est le domaine des transports intelligents ? Tu peux nous en dire un peu plus ? En quoi tes compétences informatiques t’aident dans ce domaine ?

Charlotte : Oui, je suis passionnée par le transport urbain partagé ! J’explique ma vision (en rationnant le nombre de phrases car on peut relier beaucoup de choses à notre passion !). Les milieux urbains regroupent des parts importantes de population dans des espaces contraints en ressources. Le transport permet le développement et l’accès à ces ressources mais en consomme aussi beaucoup (énergie, espace, temps, …). C’est ici que réside tout le dilemme. Je souhaite développer des modèles de transport efficaces et plus respectueux de la paisibilité. En ville, la voiture à usage personnel a un ratio utilité/coût beaucoup trop faible, d’autant plus que les individus qui subissent la majorité du coût ne sont pas ceux qui profitent de l’utilité. Organiser le partage des ressources impliquées dans le transport semble offrir de bonnes opportunités de solutions. Je souhaite les explorer.

Merci Charlotte !