Nous vous présentions, il y a peu une série des femmes qui n’officient ni dans le web ni dans le mobile. Notamment une experte Delphi, Marjolaine Bouquet puis Hélène Courtecuisse, freelance dans le domaine de la sécurité. Pour continuer cette série, nous vous présentons aujourd’hui Laurine Babilliot. Laurine est Data Scientist qui travaille sur un produit pour faciliter la detection des crises d’épilepsie. Je l’ai rencontré dans une école d’ingénieurs où j’enseignais il y a un peu plus de 3 ans. Nous avons gardé le contact. Nous prenons plaisir à échanger de temps en temps notamment sur le fait d’être une femme dans un milieu Tech , sur la collapsologie ou encore sur la quête de sens dans son travail.

Voici son portrait, et merci Laurine pour ton temps!

Bonjour Laurine, peux-tu te présenter?

Je suis Laurine et je passe la plupart de mon temps à travailler comme data scientist dans le domaine de la santé. J’ai une formation d’ingénieur (Mines de Saint-Etienne) data science appliqué au biomédical. Vers la fin de mes études je me suis spécialisée en neurosciences computationnelles. Maintenant je travaille dans une start-up en Italie, Empatica.
Mon travail consiste à élaborer des algorithmes de détection de crises d’épilepsie et de stress à partir de signaux physiologiques recueillis par une montre connectée. Je fais partie de l’équipe de R&D. Mon activité va donc de l’étude de techniques de traitement du signal dans la littérature, en passant par l’implémentation d’algorithmes jusqu’aux tests des algorithmes candidats dans la vie réelle.

Laurine Babilliot, Data Scientist

Qu’est-ce qui t’intéresse dans le fait de travailler dans le domaine de la data science?

Ce que j’adore dans ce métier c’est le côté recherche/exploration. Tu travailles avec de grosses bases de données et tu essayes de répondre à des questions précises (quel est le lien entre sommeil et fréquence de crises d’épilepsie? comment mesurer le plus simplement la fidélité des utilisateurs? …). C’est un véritable travail d’exploration qui requiert une approche scientifique et un esprit critique. Ce qui est aussi très important pour moi, c’est de savoir que mon travail a potentiellement un impact positif dans la vie des patients.

Quels sont les challenges auxquels tu te confrontes ?

Je pense que mes défis ne sont presque jamais techniques mais organisationnels et relationnels. Lorsque l’on fait de la recherche, on peut explorer certains sujets indéfiniment sans jamais arriver à un produit viable. Il est assez difficile de prendre en compte toutes les contraintes : objectifs de l’entreprise, contraintes techniques/financières, besoin des patients, pour finir avec un produit qui a du sens pour tout le monde.
Un autre challenge, c’est que j’évolue dans un milieu assez compétitif où tout le monde a toujours été la/le meilleur dans son milieu et il faut avoir de bonnes ressources personnelles pour s’y faire sa place. Mais c’est quelque chose que j’ai choisi et que j’adore car c’est extrêmement stimulant.

Quels sont tes outils du quotidien?

Au quotidien, je développe sur Matlab : la brique de base d’une analyse c’est la visualisation des données et Matlab fournit de très bons graphiques pour ça.

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Matlab

Qu’est-ce que t’a apporté le fait de savoir coder tout au long de ton parcours (pro. / perso)?

Coder, c’est le coeur de mon activité car c’est le langage de l’interface entre le patient et la machine. Savoir coder, c’est apprendre à interagir avec des objets abstraits comme des matrices, fonctions et autres objets mathématiques. C’est essayer de penser comme un ordinateur.
C’est d’ailleurs la description que je fais de mon travail. Je suis une traductrice entre le monde physique et Embrace (la montre connectée sur laquelle je travaille). Lorsque je vois une crise d’épilepsie avec mes yeux, je sais tout de suite que c’est une crise. La montre non. Je dois lui “enseigner” ( écrire un livre de règles, de descriptions d’une convulsion épileptique) à reconnaître une crise à partir d’une quarantaine de nombres qui arrivent des capteurs de la montre chaque seconde.

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la montre connectée Embrace 2 d’Empatica

Quelles femmes t’ont inspirée, t’ont montré qu’on pouvait avoir une place dans le Tech en étant une femme? Quelles sont celles qui t’ont soutenu?

J’ai eu la chance d’avoir été bien soutenue et encouragée surtout dans les périodes difficiles de recherche de stages/ premiers jobs et de découverte de la vraie vie professionnelle. Par exemple, Agnès CREPET qui était ma prof en Ecole d’ingé m’a beaucoup encouragé à me lancer dans la high-tech. Rosalind PICARD qui est la fondatrice de l’entreprise dans laquelle je travaille actuellement. Roseline m’a inspiré dans le fait que l’on pouvait utiliser la technologie ( smartphones, montres connectées …) pas seulement pour faire beaucoup de dollars mais aussi pour adresser de vrais problèmes de santé (épilepsie, autisme ..). Même si, malgré les beaux discours marketing, les besoins du patient sont malheureusement rarement mis en priorité  numéro 1. En somme, avoir des mentors, des personnes que l’on admire/ qui nous inspirent aide beaucoup à trouver sa voie professionnelle.

Une journée type parfaite ?

Une journée qui comporterait des temps de coordination avec l’équipe, de développement d’algos, d’entraide avec mes collègues et qui se finit autour d’une bonne pizza napolitaine (je vis en Italie) !

Si tu avais une baguette magique, qu’est-ce que tu changerais dans ton quotidien, ton environnement Tech ?

Si je pouvais changer quelque chose dans mon quotidien professionnel, je passerais plus de temps en contact avec les patients épileptiques. J’aimerais rencontrer, échanger et travailler avec des épileptiques et des soignants pour délivrer des produits plus pertinents qui répondent aux problèmes des patients, pas aux problèmes que s’imaginent les ingénieurs.
En ce qui concerne le monde de la tech, je trouve que l’on manque de transparence sur les sources des données, les algorithmes et leurs utilisations. Ca serait formidable qu’il y ait des fiches produits pour toutes les plateformes qui utilisent les données personnelles, qui expliqueraient de manière transparente les algorithmes de personnalisation.

Quelles sont tes aspirations pour les mois/ années(?) à venir ?

Je ne fais jamais de plans à long terme, je n’ai aucune idée de ce qui peut bien m’arriver dans les prochains mois!
En ce moment je m’interroge sur des sujets comme l’économie de l’attention et l’impact que ça a sur les enfants/adolescents par exemple.
Personnellement, je garde toujours en tête que la plupart des nouvelles technologies servent à faire de l’argent mais ne peuvent résoudre (seules) les vrais problèmes sociaux. Je suis toujours déçue lorsque l’on cite l’intelligence artificielle comme solution à des problèmes de santé, environnementaux ou énergétiques. Selon moi, les vrais défis ne sont pas technologiques mais organisationnels et comportementaux.
Comme une data scientist l’explique dans ce livre - Weapons of Math destruction, How big data increases inequality and threatens democracy - la data science a même l’effet inverse - non intentionnel - de creuser les inégalités sociales en favorisant largement la classe sociale qui crée cette discipline.

Weapons of Math Destruction : un livre à propos de l’impact social des algorithmes écrit Cathy O’Neil.

Un autre sujet entièrement ignoré pour l’instant est l’impact négatif incroyable de l’économie digitale sur l’émission de CO2. Construire un discours scientifique sur une hyper croissance digitale me semble assez irréaliste et je suis vraiment déçue que l’on ne puisse pas avoir une vision responsable à long terme sur ce sujet là. Heureusement, il y a de belles initiatives en cours, je pense notamment à l’essor des low techs  - c’est un domaine dans lequel je voudrais m’engager.

Dans les prochains mois, comme projet personnel, j’aimerais bien réfléchir/agir sur ces sujets car il y a un fossé énorme entre ce que le “public” attend de l’intelligence artificielle et ce qui est vraiment possible. Nous, les ingénieurs, avons une responsabilité de communication là dessus. Si vous vous sentez concerné/e par ces mêmes sujets, contactez moi et on pourra y réfléchir ensemble :)

Merci Laurine !